Cahier pratique N°01 :

Qui étaient ces lettrés?

 

Laissons nous guider par "la mouette, entre ciel et terre", titre du recueil des poèmes de Tu Fu, 712/770.

Pour bien comprendre la peinture lettrée, il me semble important de connaître et s'imprégner de la vie et de ce qu'étaient ces grands poètes.

Pour ce faire, je vais prendre certains noms connus dans différentes périodes de l'histoire chinoise. Mon choix est donc un choix personnel, une sélection affective.

                        Tu Fu naît le premier jour du premier mois de l’an 712 à Kong Hsian dans la province du Honan, tout près de Lo yang, la capitale de l’Empire du centre de cette époque.

                       

                        Il est le descendant d’un célèbre Général du 3ème siècle, Tu Yu (222/284). Tu Yu mena l’invasion du royaume de Wu pour réunifier la Chine en 280. Il est connu également pour se écrits sur les « Classiques confucianistes ». Son grand-père, Tu Shen yan, mandarin de son état, était un célèbre Poète du début de la dynastie Tang. Son  père, Tu Hsian est un magistrat itinérant. Quant à sa mère, elle est issue de la famille impériale. Tu Fu ne la connaîtra pas longtemps. Elle décède alors qu’il n’a que trois ans.

 

La légende de Tu Fu :

Au décès de sa mère, Tu Fu est confié à l’une de ses tantes maternelles qui a un fils du même âge. Tu Fu et son cousin tombe d’une grave maladie. Sa tante va chercher une guérisseuse. Celle-ci lui explique que seul l’enfant dont le lit est placé dans le coin sud-est s’en sortira. La tante de Tu Fu le fit dormir dans ce lit. Selon les dires de la guérisseuse, sont cousin mourut.

 

La rencontre avec Li Bai :

C’est à Luoyang où Tu Fu résidera de 742 à 744 qu’il rencontre Li Bai, ce grand Poète au génie extravagant. Dans quel lieu pouvait-il le rencontrer si ce n’est dans une taverne de Lo Yang. Fraternité et connivence s’établissent entre ces deux hommes. Tu Fu est alors âgé de 32 ans et Li Bai de 44 ans. Ils se retrouveront en 746 à Yan Chow.

Aujourd’hui nous associons par contraste de tempérament, de destin et de style.

 

                        Après Luoyang, Tu Fu réside dans plusieurs villes de la province du Sichuan pour finir à Guizhou, aujourd’hui Baidi. Dans ces deux dernières années, il écrira plus du quart des poèmes qui nous sont parvenus. Malade et sans ressources, il quitte le monde flottant en 770. Un seul mot résume cette partie de l’existence de Tu Fu, l’errance.

 

                        Tu Fu, homme plein de compassion, que ce soit pour les hommes comme pour les choses, généreux et désintéressé, son œuvre poétique est à son image. Elle évoque la misère de l’époque et de celle qu’il a vécue.

 

                        Si Tu Fu est un Maître incontesté dans le genre de la poésie dite régulière, il innove par l’introduction dans ses poèmes de thèmes liés à la vie quotidienne et familiale. C’est le premier à composer des poèmes inspirés par des peintures. Ce genre sera repris plus tard par d’autres poètes comme Su Tung po, 1037-1101 ou bien encore Huang Tingjian, 1045-1105.  Il doit sa célébrité, en particulier, à se quatrains largement imités sous la dynastie des Song.

 

                        La première édition des œuvres de Tu Fu date de 1039 comprenant plus de mille quatre cents poèmes.

                         Wang Wei naît en 701 dans le nord de la Chine. Descendant d’une famille de mandarins depuis quatre générations, son père est un officiel de l’administration impériale. Sa mère est une fervente adepte du bouddhisme, influence certaine pour sa recherche du vide dans son art. Il a vingt ans lorsqu’il est reçu aux examens impériaux. Il fera une carrière remarquable. Il est reconnu pour ses talents de peintre, de poète et de musicien. En 728, il se retire sur la « Montagne sacrée » du centre de Song shan. A son retour, l’année suivante, il se marie. Sa jeune épouse décèdera deux ans après. Wang Wei restera célibataire.

                        En 755, An Lu shan, un général d’ascendance iranienne mène une violente rébellion qui fera fuir l’Empereur Hsuan Tsang vers le sud-ouest de la Chine, le pays de Shu. Beaucoup d’officiels dont Wang Wei sont incarcérés au « Temple de l’Eveil ». L’Empereur abdique et c’est son fils, Su Tsang, avec les troupes impériales, repoussent les rebelles. Après quatre années, sa peine purgé, Wang Wei renoue avec les hautes fonctions.

            Au sixième mois de l’année 761, Wang Wei quitte « le monde flottant ».

            Wang Wei a vécu sous la dynastie Tang (618/907) dans la première moitié du VIIIème siècle. Li Bai et Tu Fu sont ses contemporains. Si je ne trouve pas de trace d’une probable rencontre avec Li Bai, c’est en 742 qu’il fait la connaissance du grand poète Tu Fu. En Chine, cette époque voit s’épanouir la poésie, la peinture de paysage et le bouddhisme ch’an. Le ch’an ou, la contemplation, (le zen en japonais), est la version taoïste chinoise du bouddhisme indien. L’éveil de Wang Wei pour le ch’an se traduit dans le calme et le détachement de sa Poésie. Ses poèmes sur la nature ne perdent pas la réalité des arbres, forêts, rochers, montagnes, …, tout en étant des emblèmes du vide. 

            A la lecture de la Poésie de Wang Wei, je remarque l’œil du Peintre au travers des couleurs et des distances. C’est l’idée essentielle de la création artistique en Chine. La Poésie s’identifie à la Peinture et inversement. Wang Wei en est un précurseur. Trois siècles après, un autre grand Lettré, Su Tung po, Chine, 1037/1101, est le premier à dire de Wang Wei : « -Quand je savoure un de ses poèmes, je trouve une peinture ; quand je contemple une de ses peintures, j’y trouve un poème ». 

            Quant à son art pictural, Wang Wei est reconnu comme l’inventeur du paysage monochrome à l’encre dite « technique du lavis ». A cette époque, la peinture chinoise se tourne de plus en plus vers un aspect expressif au détriment de la couleur. Cette méthode monochrome avec des masses pleines sans aucun trait fin s’appelle « L’Encre Peinture sans os ».

            Wang wei réalisa un traité sur la peinture dans lequel il pose le problème des proportions. Il explique l’effacement des détails avec la distance, vue proche/vue lointaine, premier plan, plan médian ou arrière plan. Wang Wei exprime pour la première fois un principe maintes fois repris :

« L’Idée précède le pinceau ».

            Nous aurons le plaisir de retrouver Wang Wei lorsque nous aborderons les quatre saisons. Pour conclure, voici la traduction du poème calligraphié sur le tableau en haut à droite :

La passe des Bambous.

  

" Des Bambous élégants se reflètent dans le méandre limpide

 Leur vert émeraude ondoie sur les rides

 En secret j’emprunte le sentier du Mont Shang

 Même les bûcherons ne le connaissent pas".

            Sur le Mont Shang, dans le Chung nan, se retirèrent les « Quatre têtes blanches », quatre célèbres ermites qui refusèrent de servir le Premier Empereur des Chin en 221 avant notre ère.