« L’esprit du mouvement. »

 

La nature est toujours en mouvement. S’il venait à s’arrêter, la nature disparaîtrait dans le néant.

Le peintre comme le poète doit percevoir le rythme de l’esprit à travers ce mouvement. Il se doit de saisir le sens de l’universel, lien entre le rythme de l’esprit et mouvement de la vie.

L’esprit du mouvement est la recherche de l’équilibre entre le regard externe et le ressenti interne. Cette recherche influence notre capacité de découverte, d’étonnement et d’émotion.  C’est dans ce mouvement que peintres et poètes expriment la vie dans sa sobriété et son exubérance, dans son audace et sa tendresse, dans sa fragilité et sa puissance,…tous ces mouvements naturels de la création à l’égal de leur monde intérieur.

 

Ici est partout, maintenant est toujours :

Maintenant, c'est-à-dire l’instant présent, est éternel puisque l’éternité n’est qu’une  succession d’instants présents.

Ici, l’endroit où je suis, est partout puisque chaque lieu est dans l’univers.

Poème et peinture se renvoient leurs émotions respectives. Ils sont issus du même élan, l’expérience poétique. L’idéogramme chinois « poésie » signifie en réalité « sentiment exprimé ». Qui peut affirmer que la peinture doit ressembler à ? Comment s’imaginer qu’une seule tâche de peinture vert tendre puisse porter en elle seule un printemps sans limite si ce n’est l’esprit de son mouvement et l’essence de son rythme !

 

Su Tung po, 1037/1101, poète et peintre chinois a écrit à propos de Wang Wei, 701/761, lui aussi lettré chinois:

« Savourant un poème de Wang Wei, dans son poème, une peinture. Contemplant une peinture de Wang Wei, dans sa peinture, un poème. »

Si le blanc est vide, ce vide est disponible à la création. Je peux écrire qu’il ne faut surtout pas remplir le vide mais lui laisser une place existentielle un mouvement de liberté d’esprit, une interprétation poétique, un silence préservé. C'est du vide qu'apparait la montagne !

Il est temps maintenant d'expliquer le sens de ma peinture. C'est une peinture écrite, l'expression engendrée par un poème. Je me dois, par respect, inscrire sur le tableau et le nom de l'auteur et le poème.

S'il était un poète le plus grand, il ne pourrait être que Li Bai (Li Po), 701/762, Chine. La légende de sa mort est à elle seule une poésie mais, j'y reviendrai plus loin. Dans le tableau suivant, la première calligraphie correspond à Li Bai. Puis la suivante se traduit par "Buvant seul sous la Lune".

 

Li Bai, Chine, 701/762.
"Buvant seul sous la Lune.

"Buvant seul sous la Lune" est un recueil de ses poèmes. Li Bai est également connu comme l'immortel banni. Le tableau à droite est ma représentation de Li Bai. Vous remarquerez que les calligraphies sont identiques aux précédentes 'soulignées' par le mot paix (en rouge).

L'image suivante est ma représentation d'un autre poème de Li Bai :

Titre :     "Passant la nuit chez un hôte du ruisseau clair."

Texte :    "Le soir est tombé au ruisseau clair. Je passe la nuit.

La maison de mon hôte est à flanc d'un rocher émeraude.

Aux poutres de l'avant toît, les astres sont accroché.

Sur l'oreiller et la natte, l'écho du vent et de l'eau,

La Lune descend à l'ouest de la montagne, monte le cri des gibbons."

Si je regarde le tableau sans avoir la traduction du poème, je n'ai pas le même sentiment. Dans les expositions, il est parfois difficile pour moi d'afficher la traduction du poème à côté du tableau. Je la dois aux visiteurs. L'écrit n'est pas nécessairement bien venu dans une exposition de peinture. Quand je le peux comme lors de l'exposition réalisée à ART Thé en juillet 2015 (27, rue campagne première - 75014 Paris), j'édite un 'petit catalogue' répertoriant textes et tableaux.

En Chine, les lettrés sont considérés comme des immortels. N'en est-il pas de même pour nos académiciens?

Patriarche de tous les animaux, la grue symbolise la longévité. Elle est la monture des immortels. Le Pin est le symbole de l’immortalité, une puissance vitale. Toujours vert même l’hiver, au printemps, encore plus vert…

Hommage aux Lettrés :

Su Tung po, Chine, 1037/1101.

 

« Je suis vieux, où est ma maison ? Quand le dragon s’endort, la pluie ne le réveille plus.

Je suis comme Li Po qui rentre dans sa barque à vin,

Comme Tao Yuan ming dont le garçon de service attend le retour.

Ravi, avec toi je monte sur le rempart des immortels.

Accoudés, assis ensemble, longuement nous chantons. Dans le petit pavillon, regardant la Lune monter, nous buvons à grands traits jusqu’à ce qu’Orion soit à l’horizon. »

A mes yeux, l'oeuvre de Su Tung po synthétise le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme ou, plus exactement le chan (le zen en japonais). Ses écrits sont au croisement de ces trois courants de la pensée.

Hangzhou (à  200 kilomètres au sud-ouest de Shangaï), au fond de la baie de la mer de Chine, est un haut lieu historique pour les lettrés. Cette ville fut considérée comme la plus peuplée au monde de 1180 jusqu'aux environs de 1350 (aujourd'hui un peu plus de 8 700 000 habitants). Au bord du lac de l'ouest, hangzhou fut la capitale de l'Empire chinois sous la dynastie des Song du sud (1127/1279).

Au début de la dynastie des Tang (618/907), les peintres, qu'ils soient professionnels, moines ou lettrés, en tant qu'artistes de cour, s'insérèrent dans des académies. L'académie officielle de l'Empire du centre fut créée à Hangzhou sous les Song du sud jusqu'à la dernière dysnatie, les Qing (1644/1912).

"Hangzhou"

Ce tableau est la représentation que je me fais de la vie à Hangzhou lorsqu'elle était la capitale.

1er texte en haut à gauche : "Aux prémices de l'aube, sur le chemin matinal."

2ème texte en haut à droite : "Les lointaines montagnes, de leur aura anccestrale, protègent ceux qui vivent sous les toîts."

3ème texte en bas à gauche : "Au hasard des rencontres, les sourires se croisent, du chemin advient le destin".

L'auteur de ces trois phrases m'est inconnu mais si parlantes.

L'idéogramme rouge signiphie "Bonheur".

Si le nom de Su Tung po reste associé à Hangzhou, cela est du aux travaux effectués pour aménager le Lac de l'Ouest (site touristique important aujourd'hui). Avant lui, un autre grand lettré, Po Chu yi (772/846), nommé gouverneur, fit érigé une digue, la "digue de Po". A l'arrivée de Su Tung po, le Lac de l'Ouest est envahi à moitié par les herbiers. Il décide de le faire nettoyer pour plusieurs raisons : sauver le poisson, irriguer les rizières, fournir de l'eau aux canaux, à la ville et pour la fabrication du vin. Avec les herbes, les algues et les boues, il fit construire la "digue de Su" traversant le lac, bordée de saules avec des ponts à arches. Le Lac de l'Ouest devient un paysage d'eau, subtile équilibre entre l'intervention de l'homme et la création de la nature.

Yang Wan (1121/1206), de  passage à Hangzhou, écrit quelques poèmes sur le Lac de l'Ouest.

"A l'aube, je quitte le temple de la pure compassion, adieu à Lin Chi fang"

"C'est ainsi, le Lac de l'Ouest, au sixième mois,

Le paysage est différent de celui des autres saisons

Les feuilles de Lotus rejoignent le ciel, émeraude infini,

Les fleurs de Lotus resplendissent dans le soleil, rouge extraordinaire"

"Pur éclat de parfum" et"Le passeur du Lac de l'Ouest" découlent de ce poème.

"Pur éclat de parfum"

"Le passeur du Lac de l'Ouest". Il n'est pas que passeur du lac, il est aussi le passeur de mots La calligraphie de gauche signifie "le Peintre et le Poète"

"A mon fils."

Yang Wan,

"Mon jeune fils joue avecde la glace."

"Mon jeune fils retire de la bassine en bronze la glace matinale

Il y passe un fil de soie de couleur et la suspend comme un gong en argent

Il frappe un carillon de jade résonne à travers la forêt

Soudain le bruit du cristal qui se brise par terre."

 

Après Hangzhou, le La de l'Ouest, il est temps maintenant pour nous de rendre visite "aux gens du bord du fleuve". Ces gens n'ont qu'une seule devise :

"Heureux celui qui profite de peu, il préserve l'avenir!"

En cette fin d'après midi, notre guide Li Bai, "A l'embarcadère des cent familles", attend le passage du pêcheur. Un chemin de petits galets rangés comme les soldats de l'armée impériale prêts à accueillir nos pas pour nous emporter jusqu'au belvédère.

A cet endroit, le lit de la rivière est bordé de grosses pierres noires. Certaines ont été taillées pour former de petites marches afin d'accéder aux barques voulant bien nous emmener. Une structure en boiserie matérialise l'endroit.

Li Bai :"A la fin du cinquième mois, il fait bon vivre quand sur la glycine en fleurs descend le crépuscule. Au coeur de l'été, si tu attends le pêcheur, tu apprécies son couvert végétal un hâvre de sensible fraîcheur draper d'une légère bise."

"Pays de l'ivresse"

Cheng Gu, 9ème siècles,

"La brume émeraude s'ouvre sur notre passage, sentiment infini.

En riant, le pêcheur nous mène au pays de l'ivresse, dans le soleil du crépuscule.

Les champs sur les îlots après la pluie fine, paisible au milieu du parfum des rizières en fleurs,

des hérons et des cormorans."

"Pays de l'ivresse" un voyage pour rejoindre "les gens du bord du fleuve".

Flottant sur la brume, le héron cendré retourne en sa demeure pour y passer la nuit.

En passant, la grue dit au pêcheur : "Ne pêche que les poissons qui feront ton repas de ce soir, pour toi, ta famille et amis. Demain sera un autre jour."

Yang Wan (1127/1206)
"A Chuchow, je monte dans une barque et fais la sieste, somnolence d'après-midi, impossible à surmonter.
Fatigué, je m'appuie sur l'oreiller en bambou, j'ai du mal à m'endormir.
Comment distinguer, je rêve mais, est-ce vraiment un rêve?
J'entends le bruits des hommes et le bruit des flots..."

Yang Wan (1127/1206)
"La nuit tombe, le pêcheur monte sur sa barque
D'un coup de perche, il pénètre dans le ciel de cristal

Supporter le froid ne pas dormir cela n'a pas d'importance
demain matin

Avec l'argent du poisson, il achètera du vin!"

Pour la respiration, avant de quitter ces gens du bord du fleuve.

"Nuit d'hiver".

Hsiu Tao yang, 9ème siècle

"Dans la nuit profonde

La neige et le vent

En vain,

Frappent à ma porte."

Avant que l'hiver n'arrive comme pour donner raison à Hsiu Tao yang, continuons notre aventure lettrée avec Li Bai

A force de tourner en rond comme pour mieux hésiter, nous pourrions rater le dépard de la jonque de Li Bai. Embarquons et laissons nous aller tout en gardant à l'esprit que, de toute les façon, nous n'échapperons pas à la prochaine saison, l'hiver...

Li Bai : "Nuit d'automne nulle brume sur le Lac du Sud
Où emprunter le courant qui monte jusqu'au ciel
Contentons nous du clair de Lune sur le lac Tung ting
La jonque avance
Nous achèterons du vin près des nuages blancs."

Durant ce voyage en compagnie de Li Bai,
nous rencontrons Wang Wei, (701/761). un lettré contemporain de Li Bai.


"Tu me demandes la vérité suprême

Le chant du pêcheur s'éloigne le long de la rive!"


Si nous demandons à un chinois : qui est le plus Grand peintre de la Chine, il répondra Wang Wei. Son œuvre est une promenade "amoureuse avec la nature". Après la lecture de son livre, Les Saisons Bleues, je me suis senti un peu plus limpide dans mon esprit.

Deux générations avant notre Charlemagne, Wang Wei n'a cessé la recherche d'un chemin de vérité et de beauté.

Dans ses poèmes, il cherche moins à décrire une réalité qu'à évoquer son état d'âme.

Sa vie fut partagée entre le monde et la solitude, l'art et le pouvoir, des illusions flatteuses et des désillusions, sérénité et tumulte, frôlant même la hache du bourreau.

Sa poésie subtile exprime l'excellence d'un jardin lettré chinois.
Sa lecture m'a emporté dans un plaisir indicible, rare et rarement aussi intense. Pour affirmer mes propos, voici un de ces poèmes, Canicule :
"Le soleil rouge emplit ciel et terre,
Les nuées de feu s'assemblent en montagnes,
L'herbe et les arbres se recroquevillent,
Marais et rivières s'assèchent.
Lourd habit de soie -
L'ombre est si mince entre les arbres!
Impossible d'approcher les roseaux -
Chemise trois fois trempée dans l'eau.
Je rêve de quitter cet univers
Pour me détendre dans l'immensité,
Un vent lointain approche -
Le fleuve et la mer lavent les passions.
Qui prend son corps pour un mal
Ne s'est pas éveillé en esprit.
Soudain, aux portes d'ambroisie,
J'ai senti comme une fraîcheur..."

 

Plus tard, nous rencontrons Du Fu, (712/770), autre contemporain et ami de Li Bai.

"Simplement" :

"Regarder au loin suffit à ...

M'ouvrir le coeur."

Du Fu a écrit des textes sur son ami Li Bai. L'un de ses poèmes m'inspire une peinture que je viens de commencer.

"A Li Bai"

"L'automne arrive, toi et moi, telles des herbes séchées errantes;

Nous n'avons pas trouvé l'élixir, quelle honte face à Ge Hong.

Buvant copieusement, chantant à tue-tête, gaspillant le temps;

Emportés, arrogants, qui cherchions-nous à impressionner?"